DIE SIEBEN TODSÜNDEN
THE SEVEN DEADLY SINS
Singspiel de Kurt Weill
Après le formidable succès de Carmen, le premier opéra donné au Rosey Concert Hall, nous renouvelons l’expérience avec une mise en scène particulière du Singspiel (genre lyrique allemand dans lequel alternent dialogues parlés ou chantés et airs) Les sept péchés capitaux, proposé en allemand et en anglais. Cette version est une production du Théâtre Orchestre Bienne et Soleure.
Marie-Noëlle Tirogalas
Résumé
Cette soirée particulière présente Weill et Brecht en double: découvrez «Les sept péchés capitaux» tour à tour! On revit à chaque fois par les yeux et les oreilles le même jeu ingénieux dans des langues, distributions et perspectives différentes…
Kurt Weill compose l’œuvre en 1933 pour le Théâtre des Champs-Elysées à Paris en reprenant la critique sociale acerbe de Brecht dans des sonorités entraînantes évoquant le tango, le foxtrot et le barbershop. En attribuant exclusivement des voix d’hommes à toute la famille (y compris la mère), Weill met l’accent sur les structures patriarcales dominantes. Elles ironisent avec pertinence sur la morale ambivalente et petite-bourgeoise d’une société prête à abandonner ses valeurs et sa santé psychique pour sa prospérité.
Mise en Scène : Olivier Tambosi
Direction : Yannis Pouspourikas
Théâtre Orchestre Bienne Soleure (TOBS)
Version pour 15 joueurs du HK Gruber et Christian Muthspiel
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Intrigue
Une petite maison en Louisiane: pour financer son rêve de devenir propriétaire, Anna est envoyée à l’étranger par sa famille. Le voyage dure sept ans et la conduit à travers sept villes d’une Amérique fictive. Pour éviter les «sept péchés capitaux des petits bourgeois», elle doit mentir, tricher, être humiliée et se prostituer, elle ne doit pas montrer de compassion face à l’injustice et elle ne doit pas tomber amoureuse. Pour supporter cette pression, sa personnalité se scinde en deux: Anna I est rationnelle, guidée par le succès et le contrôle, tandis qu’Anna II reflète les sentiments, les aspirations et les idéaux d’un moi enfoui et réprimé. Ainsi, nous assistons à un voyage intérieur d’Anna I et d’Anna II: à la recherche d’une identité sexuelle dans le tiraillement entre ses pôles féminin et masculin. Ce voyage se transforme en un cauchemar interminable. Les personnalités dissociées deviennent indépendantes et entrent de plus en plus en conflit l’une avec l’autre. L’auto-optimisation compulsive tourne à l’autoexploitation, le déni de soi, à l’autodestruction.
Olivier Tambosi
La nécessité rend inventif
Après l’accession au pouvoir des nationaux- socialistes en janvier 1933, Weill ne pensait pas que cette «hantise hitlérienne», comme l’appelait Brecht, durerait: «Je considère ce qui se passe ici comme tellement malsain que je ne peux pas imaginer comment cela pourrait durer plus de quelques mois.» Mais malheureusement, la situation ne cessa de s’aggraver pour le compositeur juif: la musique de Weill, qualifiée de «dégénérée», fut interdite, ses partitions et ses disques, détruits. Il rencontra de plus en plus de difficultés financières et il ne lui resta plus qu’à quitter l’Allemagne. Il se rendit à Paris avec le couple Erika et Caspar Neher, où ils arrivèrent le 23 mars 1933. À Paris, Weill n’était pas un inconnu: ses oeuvres «Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny», «Der Jasager» et «Die Dreigroschenoper » y avaient déjà été jouées avec grand succès. Il n’est donc pas surprenant qu’Edward James, un multimillionnaire anglais, ait contacté Weill après deux semaines seulement pour lui commander une musique de ballet. James prévoyait une soirée de ballet en six parties avec la troupe «Les Ballets 1933», fondée par Boris Kochno et George Balanchine. Tous deux étaient d’anciens membres des «Ballets russes» de Sergei Diaghilev. Weill proposa Jean Cocteau comme librettiste, mais celui-ci refusa par manque de temps.
Conscient de l’énorme impact publicitaire, James Kurt Weill proposa de collaborer à nouveau avec Bertolt Brecht. Même si ce dernier avait traité Weill de «faux Richard Strauss» lors des répétitions de «Mahagonny » en 1931 et que le courant ne passait plus entre les deux hommes. Les conditions étaient donc loin d’être idéales. Tout en considérant le ballet comme «la plus stupide des formes d’art», Brecht accepta toutefois, car lui aussi avait un urgent besoin d’argent. C’est donc par pure nécessité que Brecht et Weill écrivirent leur ultime oeuvre en commun à Paris. Après avoir travaillé huit jours avec Brecht, Weill estima que ce dernier était l’un des «compagnons les plus répugnants, les plus désagréables sur terre». Les répétitions de «Die sieben Todsünden» («Les Sept péchés capitaux») durent être éprouvantes, non seulement au niveau linguistique – Lotte Lenya rapporte que George Balanchine ne comprenait pas un traitre mot d’allemand et que tout devait être traduit vers le français puis vers le russe – mais aussi au niveau émotionnel. La confusion des sentiments les plus divers régnait car tous les artistes impliqués étaient liés entre eux d’une manière ou d’une autre: Lotte Lenya, qui jouait le rôle d’Anna I, était (encore) l’épouse de Kurt Weill et entretenait une liaison avec le premier ténor, Otto Pasetti. On murmurait par ailleurs qu’elle avait une relation avec Tilly Losch, l’interprète d’Anna II. Celle-ci était elle-même mariée avec Edward James, le financier. Tilly Losch divorça d’Edward James en 1934 – elle l’accusait d’homosexualité. Weill, quant à lui, prit pour maîtresse Erika Neher, la femme du décorateur de théâtre Caspar Neher. Le 7 juin 1933, «Die sieben Todsünden» furent représentés pour la première fois au Théâtre des Champs-Élysées à Paris.
La mère était d’ailleurs interprétée par le célèbre acteur suisse Heinrich Gretler (entre autres Alp-Öhi, Wachtmeister Studer). Sans doute parce qu’elle était donnée en allemand, l’oeuvre n’eut pas le succès escompté. Le correspondant parisien du magazine «The New Yorker» qualifia «Les Sept Péchés Capitaux» de «breuvage pour lequel personne n’a manifestement éprouvé de goût». Seuls les émigrés allemands vivant à Paris réagirent avec enthousiasme. Walter Mehring rapporta: «Une élite a célébré les artistes et les interprètes, comme on en avait l’habitude à la grande époque de l’art théâtral allemand. » Alors que Weill considérait «Die sieben Todsünden» comme l’une de ses meilleures oeuvres, Brecht s’exprima de manière désobligeante sur la première le 10 juin 1933 dans une carte postale adressée à sa femme Helene Weigel: «Le ballet s’est joliment déroulé, mais n’était pas si important.» La première représentation en anglais de «Die sieben Todsünden» eut lieu dès la fin juin 1933 à Londres sous le titre «Anna – Anna». La traduction, réalisée à court terme, était l’oeuvre d’Edward James et de Lotte Lenya. Après d’autres représentations à Copenhague en 1936, la pièce disparut des scènes pendant une longue période. Ce n’est que grâce à l’enregistrement de Lotte Lenya en 1956 que l’oeuvre devint connue d’un plus large public et entama une marche triomphale qui se perpétue aujourd’hui. Pour la représentation new-yorkaise des «Seven Deadly Sins» en 1959, le grand écrivain anglophone et librettiste d’opéra chevronné W. H. Auden et son partenaire Chester Kallman furent chargés d’une nouvelle traduction, que l’on pourra entendre en deuxième partie de soirée.
Nathalie Widmer